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Au cœur de la Bosnie-Herzégovine, Tuzla suffoque. Cette ville de 110 000 âmes détient le triste record de ville la plus polluée d’Europe. Les habitants y respirent un air toxique, 30 fois supérieur aux normes européennes par endroits. Cancers du poumon, pneumonies et crises d’asthme y sont monnaie courante. Et la situation ne semble pas près de s’améliorer…
À Tuzla, le ciel bleu est une rareté. Un épais nuage de fumée blanche plane constamment au-dessus de la ville, témoin visible de la pollution qui empoisonne l’air. Les conséquences sur la santé des habitants sont désastreuses : l’espérance de vie y atteint à peine 55 ans. Les enfants grandissent équipés d’inhalateurs, devenus indispensables pour respirer correctement.
La source principale de cette pollution ? Une centrale thermique à charbon située en plein cœur de la ville. Construite dans les années 60, elle crache jour et nuit des particules fines et du dioxyde de soufre, bien au-delà des limites autorisées en Europe.
Malheureusement, la pollution ne se limite pas à l’air. Les déchets chimiques et les eaux usées de la centrale sont acheminés via des pipelines jusqu’à un immense lac artificiel situé dans les hauteurs de la ville. Ce lac toxique, dépourvu de protection, laisse s’infiltrer des métaux lourds comme le plomb et l’arsenic dans les sols et les nappes phréatiques.
Résultat : l’ensemble de l’écosystème local est contaminé. Les légumes, les céréales, les fruits et même les poissons des environs concentrent des taux alarmants de substances toxiques. Les habitants de Tuzla sont ainsi exposés à la pollution par tous les aspects de leur environnement.
Face à cette situation dramatique, les autorités bosniennes restent étrangement passives. Pourtant, une loi votée en 2017 prévoyait la modernisation des infrastructures, la mise en place de systèmes de filtration des eaux et un plan de réduction des émissions des centrales. Mais ces mesures sont restées lettre morte.
Pire encore, plutôt que de rénover les installations existantes, le gouvernement a choisi en 2019 d’agrandir la centrale. Un prêt de plus de 600 millions de dollars a été contracté auprès de la China Exim Bank pour financer ce projet controversé.
L’empire du Milieu ne se contente pas de financer l’extension de la centrale de Tuzla. Partout dans les Balkans, la Chine multiplie les investissements massifs dans des projets énergétiques polluants. Pas moins de 17 nouvelles centrales à charbon sont prévues dans la région d’ici 2030.
Cette offensive économique chinoise soulève de nombreuses questions. Si elle apporte des financements bienvenus à court terme, elle risque d’ancrer durablement la région dans un modèle énergétique obsolète et nocif pour l’environnement.
Pourtant, des solutions relativement simples et peu coûteuses existent pour réduire drastiquement la pollution à Tuzla. L’installation d’un dispositif de désulfuration permettrait par exemple de diminuer considérablement les émissions de dioxyde de soufre. Coût estimé : 100 millions d’euros, soit six fois moins que la construction du nouveau bloc de la centrale.
Mais les autorités refusent d’envisager cette option, arguant qu’elle entraînerait une hausse des tarifs de l’énergie. Un argument qui pèse peu face aux conséquences sanitaires désastreuses subies par la population.
La situation de Tuzla illustre le dilemme auquel sont confrontés de nombreux pays en développement : comment concilier croissance économique et protection de l’environnement ? La centrale thermique emploie directement près de 6000 personnes dans une région où le chômage dépasse les 40%.
Pour beaucoup d’habitants, le choix est simple : travailler à la centrale ou être au chômage. Cette dépendance économique explique en partie la réticence des autorités à imposer des normes environnementales plus strictes.
Face à cette situation, l’inaction de l’Union européenne interpelle. Alors que les pays des Balkans aspirent à rejoindre l’UE, celle-ci tarde à proposer des alternatives crédibles aux financements chinois. Ce vide laissé par l’Europe pousse la région dans les bras de Pékin, au détriment de l’environnement et de la santé des populations.
L’urgence d’agir est pourtant criante. Chaque jour qui passe, les habitants de Tuzla paient de leur santé le prix du développement économique de leur pays. Une situation qui appelle une réponse forte et coordonnée de la communauté internationale.
Face à l’inaction des autorités, la société civile commence à se mobiliser. Des manifestations contre la pollution de l’air sont régulièrement organisées à Tuzla. Des associations locales tentent de sensibiliser la population et de faire pression sur les décideurs politiques.
Mais le combat est inégal. Face aux intérêts économiques en jeu et à la puissance des investisseurs chinois, les citoyens peinent à faire entendre leur voix. Pourtant, c’est bien l’avenir de toute une région qui se joue à Tuzla.
Au-delà du cas particulier de cette ville, c’est tout le modèle de développement des Balkans qui est remis en question. Comment permettre à ces pays de rattraper leur retard économique sans sacrifier l’environnement et la santé de leurs populations ?
La réponse à cette question cruciale déterminera non seulement l’avenir de Tuzla, mais aussi celui de toute une région aux portes de l’Union européenne. Il est temps que l’Europe prenne ses responsabilités et propose une véritable alternative au modèle de développement promu par la Chine.
En attendant, les habitants de Tuzla continuent de respirer un air toxique, symboles vivants des contradictions d’une Europe en quête de son avenir énergétique et environnemental.