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L’intouchable Andrej Babiš vacille. Premier ministre et homme le plus riche de République tchèque, son empire tremble face aux accusations de la Commission européenne. Détournements de fonds, conflits d’intérêts, intimidations : le masque du businessman incorruptible se fissure. L’heure du jugement a-t-elle sonné pour le tout-puissant oligarque ?
Andrej Babiš incarne le rêve américain version tchèque. Parti de rien, il bâtit l’empire Agrofert et devient milliardaire. Son groupe tentaculaire s’étend de l’agroalimentaire aux médias en passant par la chimie. Fort de ce succès, il se lance en politique en 2011 avec un message anti-corruption qui séduit. En 2017, il accède au poste suprême de Premier ministre.
Mais son double statut d’homme d’affaires et de dirigeant politique soulève vite des questions. Pour apaiser les critiques, il place Agrofert dans des fonds fiduciaires en 2017. Une manœuvre qui ne convainc pas ses détracteurs. Les soupçons de conflits d’intérêts persistent.
Le scandale qui pourrait précipiter sa chute porte un nom poétique : le Nid de cigognes. Ce complexe hôtelier luxueux, financé en partie par des fonds européens, cristallise toutes les critiques. Officiellement sorti d’Agrofert, le Nid de cigognes bénéficierait toujours à Babiš via des montages opaques.
L’affaire éclate au grand jour en 2017. La justice tchèque ouvre une enquête pour détournement présumé de 2 millions d’euros de subventions européennes. Mais l’instruction patine. Les opposants accusent Babiš d’user de son influence pour étouffer le dossier. La nomination d’une ministre de la Justice à sa botte renforce les soupçons d’ingérence.
Face à l’enlisement de l’enquête nationale, Bruxelles décide de s’en mêler. En janvier 2020, une délégation de la Commission de contrôle budgétaire débarque à Prague. Sa mission : faire la lumière sur les soupçons de conflits d’intérêts visant le Premier ministre.
L’accueil est glacial. Babiš refuse de coopérer et insulte les eurodéputés. Une attitude qui ne fait qu’attiser les soupçons. En juin, le Parlement européen adopte une résolution cinglante contre le dirigeant tchèque. Le texte exige qu’il choisisse entre ses fonctions politiques et ses intérêts économiques.
L’ultimatum européen place Babiš dans une position intenable. S’il démissionne, il perd son immunité et s’expose à des poursuites. S’il cède le contrôle d’Agrofert, il dit adieu à sa fortune. Dans les deux cas, c’est la fin de son règne sans partage sur la Tchéquie.
Pour accentuer la pression, les eurodéputés brandissent une menace redoutable : couper les subventions à la République tchèque. Un scénario catastrophe pour l’économie du pays, déjà fragilisée par la crise du Covid-19. De quoi pousser les Tchèques à se débarrasser de leur encombrant Premier ministre ?
Longtemps résignés face à la toute-puissance de Babiš, les Tchèques retrouvent espoir. Des manifestations monstres secouent régulièrement la capitale depuis 2019. Le 16 novembre 2019, 300 000 personnes envahissent la plaine de Letná pour réclamer sa démission. Du jamais vu depuis la Révolution de velours.
Malgré la répression et les intimidations, la contestation ne faiblit pas. L’intervention de Bruxelles galvanise les opposants. Ils y voient enfin une chance de renverser l’oligarque qui trustait tous les pouvoirs. Les élections législatives de 2021 s’annoncent décisives.
Acculé, le Premier ministre joue son va-tout. Il dénonce un complot des élites européennes contre la souveraineté tchèque. Une rhétorique populiste qui fait mouche auprès de son électorat rural et âgé. Il mise aussi sur la division de l’opposition pour se maintenir au pouvoir.
Mais ses options s’amenuisent. L’enquête européenne progresse et pourrait bientôt le priver des précieuses subventions. Son parti ANO 2011 s’effrite dans les sondages. Même ses alliés commencent à prendre leurs distances. L’hypothèse d’une démission forcée n’est plus à exclure.
Le bras de fer entre Babiš et l’UE dépasse le simple cas personnel. C’est tout le modèle démocratique tchèque qui est en jeu. La chute du magnat marquerait un coup d’arrêt à la dérive autoritaire du pays. Elle redonnerait espoir aux forces pro-européennes d’Europe centrale.
Mais le clan Babiš n’a pas dit son dernier mot. Certains redoutent qu’il ne place un homme de paille à la tête du gouvernement pour garder la main. D’autres craignent une radicalisation du pouvoir face aux pressions de Bruxelles. L’avenir de la Tchéquie reste incertain.
Les prochains mois s’annoncent décisifs. L’enquête européenne devrait livrer ses conclusions. Les élections législatives d’octobre 2021 feront office de référendum sur le bilan de Babiš. D’ici là, le Premier ministre jouera son va-tout pour se maintenir coûte que coûte.
Après des années de règne sans partage, l’oligarque vacille enfin sur son piédestal. Mais saura-t-il rebondir une fois de plus ? Ou assistera-t-on à la chute spectaculaire du Berlusconi tchèque ? Réponse dans les mois à venir. Une chose est sûre : l’affaire Babiš n’a pas fini de faire trembler la République tchèque.