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Bastion historique des opérations militaires occidentales, l’Afrique semble avoir attiré l’oeil d’une Russie toujours avide de conquêtes. Depuis quelques mois, la Mère Patrie rêve de retrouver son lien particulier qu’elle entretenait jadis avec le continent. Et quand Poutine veut quelque chose, il parvient toujours à se le procurer.

On dit de l’ours qu’il jouit d’une faim insatiable. On pourrait dire de la Grande Ourse qu’elle jouit d’un appétit territorial insatiable. Plus grand territoire du monde, la Russie était parvenue, sous bannière soviétique, à concourir près d’un cinquième de la surface habitée du globe. Et malgré l’éclatement du Bloc de l’Est, la Mère Patrie a reconduit ces dernières années son opération d’expansion. Après l’est ukrainien, Vladimir Poutine semble lorgner sur une ancienne connaissance au centre du monde. Plongée au coeur du grand remplacement russe en terres d’Afrique, au détriment d’une France qui commence à perdre la main.

Une grande puissance qui veut s’en donner l’air

Un soldat privé russe (au premier plan), un membre de la garde du président Archange Touadéra (derrière) et un militaire de la Mission des nations unies en Centrafrique (à droite), à Bangui en décembre 2020 © Alexis Huguet/AFP

Si la Russie apparaît depuis toujours comme un ogre parmi les puissances mondiales, son cas est assez paradoxal. Depuis son indépendance, ce vaste pays a toujours été une puissance pauvre qui, comme un pays du tiers-monde, produit des matières premières et dont le PIB ne dépasse pas celui de l’Italie. Mais son aura et sa réputation le font oublier. Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine cherche à tout prix à renouer avec les attributs d’une grande puissance extérieure. Mais comme les forces sont limitées, il joue au poker. Après sa victoire diplomatique en Syrie, il est parvenu à faire du conflit ukrainien le point d’équilibre de la politique mondiale.

Mais l’Ukraine, ce n’est pas assez. Place désormais à plus grand, à plus loin : l’Afrique. Partout où l’Europe s’affaiblit, la Russie rode et s’installe. Et contrairement aux Occidentaux, Vladimir Poutine se plie plus volontiers aux caprices de certains chefs d’État africains en recherche perpétuelle de moyens militaires. Pour ce faire, il se cache notamment derrière Wagner, une société paramilitaire non officielle déjà présente dans une vingtaine de pays sur le continent. Une manière d’être sur place sans l’être officiellement et de passer sous les radars de la communauté internationale. Et son réseau d’influence ne cesse de s’étendre.

La République Centrafricaine, l’exemple de la stratégie russe

Des Maliens manifestent ce 22 septembre 2020 pour réclamer le départ des troupes françaises et l’arrivée de soldats russes © AP

Si les grandes puissances mondiales ont historiquement considéré le continent noir comme un immense gâteau, au plus pur mépris du peuple africain, l’Occident se détourne aujourd’hui progressivement de l’hémisphère Sud. Un vide qui profite à la Russie. En 2017, la République Centrafricaine devient ainsi le pays « test » de la stratégie d’influence de Vladimir Poutine. Logique quand on sait que le président Faustin-Archange Touadéra est un allié du président russe. Le chef du Kremlin déploie donc sa fameuse Wagner sur le terrain. Officiellement, ce sont de simples mercenaires mais leur chef Evgueni Prigozhin est l’un des oligarques les plus puissants de Russie surnommé Le cuisinier de Poutine.

En bon stratège, le président russe sait comment prendre sa part du gâteau africain au détriment de son meilleur ennemi en la matière, la France. Le cas de la République Centrafricaine est, en ce sens, édifiant puisqu’il symbolise le premier acte de ce « grand remplacement ». Sur place, la Russie a montré, en quelques années seulement, qu’elle était capable de régler les problèmes sécuritaires sans passer par les « lenteurs diplomatiques » occidentales telles que les Droits de l’homme. En octobre 2020, la République Centrafricaine voit des chars russes défiler dans les rues de Bangui, suivis par une foule en délire scandant des slogans pro-russes et anti-occidentaux. Une position largement influencée par la traditionnelle propagande russe mise en place. Mais ce n’était qu’une mise en bouche : Vladimir Poutine met désormais le cap sur le Sahel, où les enjeux sont bien différents.

Le super tsar à la conquête d’un puits sans fond

En Septembre 2021, discussion entre les ministres des Affaires étrangères russe et malien en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York © Russian Foreign Ministry/Sputnik via AFP

Coincée entre la Mauritanie et les savanes soudanaises en passant par le Sahara, la zone sahélienne traverse depuis des décennies des crises humanitaires et sécuritaires majeures. Entre les matières premières convoitées par l’Occident, les guerres incessantes entre tribus nomades et une menace terroriste permanente, la région est une poudrière. Depuis la colonisation occidentale, la France en avait fait son terrain de jeu préféré mais le vent commence à tourner. Face au sentiment anti- français qui émerge dans la région, il ne fait aucun doute que la société Wagner a trouvé un nouveau port d’attache après avoir réussi le même job en Libye.

Outre la traditionnelle propagande, les Russes agitent d’ailleurs déjà les idées socialistes et marxistes qui avaient déjà charmé la région dans les années ’60. L’objectif est de faire ressortir le souvenir de l’espoir africain incarné par Thomas Sankara. L’ex-président du Burkina Faso s’était ouvertement opposé à l’Occident au nom de l’indépendance africaine avant d’être assassiné pour s’être « rebellé ». Le Mali, pays clé dans la région, a aussi vécu ses heures de gloire auprès des Soviétiques. Après l’indépendance de 1961, il s’était affranchi de l’Occident pour se tourner vers le Bloc de l’Est au point de devenir un partenaire stratégique pour l’URSS.

En 2019, Moscou signe un accord de défense avec Bamako. En août 2020, le colonel Goïta prend le pouvoir à la suite d’un putsch rondement mené. Quelques temps avant, il avait effectué un long voyage vers la capitale russe, alimentant les suspicions d’une possible ingérence extérieure. En juin 2021, Emmanuel Macron annonce la fin de l’opération française « Barkhane » au Sahel pour privilégier l’option européenne Takuba. Il vient de laisser le champ libre à la Russie. En quelques semaines, les drapeaux maliens se mélangent aux russes dans les rues de la capitale sous le regard médusé des Français encore sur place. Comme un sentiment de déjà vu.

Vladimir Poutine © Grigory Dukor – AFP

Les victoires éclatantes de la Russie en Libye et République Centrafricaine ont permis à Vladimir Poutine de s’implanter sur le continent. Mais elles ne sont pas pour autant des garanties de succès au Sahel car la société Wagner possède une liberté d’action limitée. Elle est idéale pour s’immiscer dans des petites zones ciblées mais la question sahélienne demande des moyens logistiques et militaires autrement plus conséquents. Et si Poutine pouvait jusqu’alors se permettre de jouer en-dehors des codes, il sera désormais confronté aux mêmes problèmes que les Occidentaux : lutte contre le terrorisme, désertification et crise humanitaire liée au réchauffement climatique.

La question des Droits de l’homme finira aussi par se poser car la Grande Ourse ne parviendra pas à passer éternellement sous le radar. Si la défection française au Sahel laisse une place vide pour la Russie, cette opportunité pourrait rapidement se transformer en bourbier. Et si la pieuvre russe ne veut pas se retrouver seule au milieu d’une région réputée comme l’une des plus dangereuses du monde, elle devra certainement changer de rocher. Dans ce cas, des cibles plus atteignables comme le Cameroun ou le Gabon pourraient devenir des proies intéressantes. Après l’Ukraine qu’il maintient perpétuellement sous pression, l’Afrique risque, elle aussi, de sentir l’ombre de Poutine planer dans son dos.

4 Replies to “Comment la Russie tente de s’imposer au Sahel”

  1. Ah ça oui, la Russie en a déjà connu aussi des bourbiers et là, il pourrait être de taille. Je me demande finalement si ça ne fait pas quand même un peu l’affaire de la France de sortir de là… Mais c’est vrai que les anciens acteurs traditionnels de terrain commencent à être supplantés par ceux qu’ils considèrent encore parfois comme des pays en voie de développement, la Russie et la Chine.

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