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Voilà près d’un an que deux anciens époux, le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont divorcé. Adopté le 1er janvier 2021, l’accord de « commerce et de coopération » est censé régir leurs relations et limiter les dégâts. Mais cela n’empêche pas de nombreuses entreprises de quitter la City londonienne pour un nouvel eldorado surprenant : Amsterdam.

Lors d’une séparation, chacun se bat pour sa part du gâteau. Et les puissances dirigeantes ne dérogent pas à la règle. Il n’était donc pas question pour le Royaume-Uni de se passer des 450 millions de consommateurs qu’offre le « continent ». Pas plus, pour les deux parties, que de faire une croix sur des transactions annuelles à hauteur de 700 milliards d’euros. Basé sur le libre-échange, ce contrat a donc été mis en place pour conserver au mieux l’« ex-marché ».

Mais pour éviter toute concurrence déloyale, l’UE soumet les firmes britanniques à ses règles et normes : place donc aux contrôles aux frontières, aux déclarations d’importation et d’exportation ainsi qu’à l’obligation pour les investisseurs européens de conclure leur négoce au sein de l’UE. Un vrai casse-tête pour les sociétés « non-européennes » qui doivent dès lors se livrer à de nouvelles démarches administratives et endurer des coûts supplémentaires.

La capitale des tulipes, le paradis boursier inopiné

La bourse d’Amsterdam propose des visites guidées qui retracent son histoire © Piroschka van de Wouw – Reuters

Forte est donc la tentation d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Ce qui semble être le cas. Au départ redouté par les Pays-Bas, le Royaume-Uni étant son deuxième plus gros partenaire commercial (avec plus de 15 milliards d’euros d’exportations en 2020), le Brexit fait finalement bien ses affaires. Plus de deux cents entreprises initialement basées dans la City ont déjà migré vers Amsterdam, dont les géants de l’électronique Sony et Panasonic, mais aussi la Commonwealth Bank of Australia (première banque d’Australie). Grâce à ces arrivées massives, la bourse amstellodamoise supplante désormais celle de Londres avec un total de 9,2 milliards d’euros échangés par jour en janvier de cette année. Rien d’étonnant finalement pour une nation pionnière dans la spéculation grâce à ses marchands de la Compagnie des Indes orientales, fondée en 1602.

La place financière attendue n’était pourtant pas Amsterdam. Beaucoup ont misé sur Dublin, Milan, Paris ou encore Francfort, mais certainement pas sur la capitale des tulipes. Il faut avouer qu’elle a su user de ses charmes pour séduire : l’anglais comme deuxième langue la plus parlée, des conditions fiscales qui ne se refusent pas et Rotterdam, toute proche, comme plus grand port d’Europe. Le Brexit est donc globalement une aubaine pour la bourse d’Amsterdam et son opérateur Euronext en matière d’actions, mais aussi de transferts de marchandises. Avec des frais d’expéditions en hausse et des délais de livraison allongés, nombreuses sont les entreprises britanniques à requérir les services des firmes de logistique et d’entreposage hollandaises. Au-delà des bénéfices financiers, l’immigration de la City amène aussi indéniablement de l’emploi. Un facteur attractif pour les Amstellodamois, mais pas seulement.

La destination en or pour les expatriés

Des espaces de coworking sont créés comme celui de Fosbury & Sons dans un ancien hôpital du XIXe siècle © Francisco Nogueira

En plus des sièges sociaux d’entreprises non-néerlandaises, la capitale hollandaise regorge de citoyens étrangers. Ils sont environ 38.000 à s’y être installés, représentant 173 nationalités. Parmi eux, des Britanniques, des Belges, mais surtout une importante concentration de jeunes Français en quête d’un meilleur train de vie. Ils sont nombreux à quitter leur mère patrie, convaincus par les atouts d’Amsterdam.

D’une part, un marché de l’emploi plus accessible où la personnalité compte davantage que les diplômes. D’autre part, un équilibre entre vies professionnelle et personnelle respecté par des horaires fixes et la possibilité d’opter pour un temps partiel sans impacter sa carrière. Le travail à domicile y est aussi très répandu, et ce déjà bien avant la pandémie de Covid-19. Le tout sans oublier un salaire attractif avec un potentiel tax ruling (absence d’imposition sur 30% des revenus bruts en cas d’engagement pour un poste spécifique grâce aux compétences). Car bien que les Pays-Bas séduisent les financiers, ils recherchent avant tout des talents intellectuels et manuels dans des secteurs en pénurie tels que les technologies. Étonnement, il n’est pas nécessaire de connaître le néerlandais mais, si l’envie est présente, la commune propose des cours gratuits pendant six mois. Amsterdam est de plus un véritable berceau de l’entrepreneuriat : grâce à des incubateurs, bon nombre de start-ups et d’espaces de coworking voient le jour.

Pour ne rien gâcher au plaisir, les logements y sont également plus abordables avec des facilités d’obtention de prêt pour pousser les nouveaux arrivants à l’achat. Les locations à court terme sont par ailleurs proscrites dans trois quartiers de la ville historique pour favoriser l’établissement à long-terme des résidents. Pour attirer les jeunes parents, l’offre de services de garde d’enfants est en outre très étendue. Aucun risque donc de se retrouver sans crèche ou de devoir la réserver six mois avant la naissance de bébé. Et pour assurer l’avenir des bambins, les écoles internationales ne cessent de fleurir. C’est tout bénéfice semble-t-il, à condition d’avoir un bon niveau d’anglais et de ne pas avoir peur de payer son assurance santé plus chère qu’en France et en Belgique.

Depuis la complexité du Brexit, Amsterdam apparaît donc comme un véritable eldorado pour les expatriés ainsi que pour les grands noms du commerce. Mais ce miracle ne serait-il pas uniquement un mirage? Certains industriels et boursiers partagent effectivement une même prédiction : l’impossibilité pour une seule ville de jeter aux oubliettes l’incontournable City de Londres (qui a su détrôner les bourses de New-York, Hong-Kong et Tokyo). Une possible association d’Amsterdam avec d’autres marchés européens (comme Paris ou Francfort censés initialement rafler la mise) pourrait la concurrencer. Mais l’Europe économique fera-t-elle preuve d’Union?

3 Replies to “Comment le Brexit profite à Amsterdam”

  1. Article intéressant et éclairant.
    Tout n’est pas parfait aux Pays-Bas, mais on ne peut que comprendre l’engouement de certains pour y poser ces valises.

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