Catastrophe depuis plusieurs décennies, la disparition des abeilles est telle une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Si les causes sont nombreuses, l’accroissement des monocultures et l’homogénéisation du paysage par l’homme en sont les premiers facteurs. Mais une solution pourrait émerger : et si les zones agricoles devenaient des refuges de biodiversité?
Le déclin des insectes, et notamment des pollinisateurs, s’accentue d’année en année. Responsables de nombreux services écosystémiques et positionnés en bas de la chaîne alimentaire, leur disparition causerait une réaction en chaîne néfaste pour les écosystèmes comme pour l’espèce humaine. Les zones agricoles prenant de plus en plus de place dans le paysage, il est désormais important de comprendre qu’agriculture n’est pas forcément l’antonyme de nature.
Un déclin aux conséquences funestes

Le déclin de la biodiversité constaté à ce jour laisse entendre une crise écologique majeure que le monde scientifique qualifie désormais de sixième extinction de masse, dite de l’Holocène. On estime en effet qu’environ un million d’espèces, animales comme végétales, sont aujourd’hui menacées d’extinction. Parmi elles, les insectes représentent jusqu’à 70% de la diversité animale. On estime pourtant que 80% des espèces d’insectes restent encore à découvrir. Toutefois, 5 à 10% des espèces auraient déjà disparu depuis le début du 19ème siècle, début de la période industrielle. De plus, il apparaît, au vu des dernières études, que le taux d’extinction de ce groupe serait huit fois plus élevé que celui des autres animaux. Pire, il impliquerait la potentielle disparition de toutes les espèces d’insectes d’ici 100 ans.
La disparition des insectes aurait un impact majeur sur la biodiversité. Il est admis que les insectes font partie intégrante des réseaux trophiques, c’est-à-dire qu’ils se situent sur tous les axes d’un écosystème (de la base à la cime, de la proie par excellence au prédateur suprême). Ils interviennent également dans de nombreuses fonctions essentielles telles que la transformation de la matière organique et la pollinisation (78 à 90% des plantes à fleurs seraient dépendantes des insectes pour la pollinisation). Les diminutions des populations entraîneraient donc le déclin de nombreux services écosystémiques essentiels pour l’être humain. Soit un dérèglement total de l’équilibre naturel.
Un accroissement de la dépendance humaine aux insectes pollinisateurs a été observé alors même que ces derniers sont, eux, en déclin. On estime que 75% des plantes cultivées ont potentiellement besoin de la zoogamie (pollinisation par l’intermédiaire des animaux) et 10% des cultivars (plantes aux caractéristiques uniques) sont strictement dépendants des animaux. En 2015, les bénéfices directement imputables à la pollinisation animale représentaient entre 235 et 577 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale. Le tout pour 5 à 8% de la production agricole, destinée à la fois à l’alimentation humaine et à l’alimentation animale.
Les causes du déclin des pollinisateurs

Représentant cinq milliards d’hectares, soit 38% des terres émergées, l’agriculture est l’une des principales sources de déclin des insectes. Depuis le 19ème siècle, les pratiques agricoles traditionnelles ont disparu au profit de pratiques modernes prônant les grandes monocultures génétiquement uniformes. Et leur surface totale (au niveau mondial) ne fait qu’augmenter en même temps que la population humaine. En plus de limiter le déplacement des insectes par l’absence de réseau écologique, ces étendues homogènes diminuent la richesse des ressources alimentaires. Ces impacts (uniformisation du paysage, diminution de la ressource alimentaire et perte du réseau écologique) ont, par leur association, un effet « cocktail » qui amplifie leurs effets délétères sur la biodiversité. Par ricochet, la pollution (engrais, pesticides, produits liés aux activités industrielles, etc) apparaît comme le deuxième facteur de déclin des insectes.
Les modèles climatiques actuels prédisent, en outre, tous une augmentation de la température au cours des années à venir. Mais si l’augmentation actuelle de la température avait été estimée à 0,91 °C, une dernière étude a révélé que cette hausse était déjà de 1,07 °C. Un pic qui pourrait altérer la phénologie des espèces poïkilothermes (espèces chez qui la température interne varie avec celle du milieu), dont les insectes font partie. Lors des variations thermiques, les cycles biologiques et les comportements des insectes peuvent être modifiés et, de ce fait, provoquer une désynchronisation entre les plantes hôtes et les insectes. Les chenilles par exemple naîtront avant que la plante ne sorte du sol, ou inversement.
La hausse des températures implique également la migration d’espèces non indigènes dans des zones qui leur deviennent aujourd’hui accessibles. Ces espèces, potentiellement envahissantes, peuvent avoir des impacts majeurs sur les écosystèmes (via la compétition avec les populations locales dans la quête de ressources). La présence de plantes invasives peut aussi être néfaste puisqu’elles remplacent les sources de nourritures locales, voire s’avèrent directement toxiques pour les insectes. Les parasites et autres agents pathogènes sont également impliqués dans la diminution des pollinisateurs. Ils ont, certes, toujours coexisté avec leurs cibles, mais l’augmentation de leur virulence est susceptible pourrait être une cause secondaire de l’affaiblissement du système immunitaire des insectes. Surtout face aux pesticides.
Comment régler le problème?

En Wallonie, un hectare sur deux est consacré à l’agriculture et cette dernière joue donc un rôle essentiel dans la protection de l’environnement. Les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC) ont pour objectif, par un engagement volontaire de cinq ans, la mise en place de méthodes favorables à la protection de l’environnement, à la conservation du patrimoine naturel et au maintien des paysages en zone agricole. Elles sont mises en place depuis 1985 et font partie de la Politique Agricole Commune (PAC) depuis 1994.
Les agriculteurs participant à ce programme bénéficient d’une aide financière cumulable avec d’autres programmes comme Natura 2000 qui vise à couvrir l’effort et les coûts liés à la mise en œuvre des mesures. En 2012, 54% des agriculteurs wallons étaient engagés au moins dans une des mesures. En 2015, les MAEC ont permis l’entretien de 12.000 kilomètres de haies et de 4000 mares, et la conservation de 6500 hectares de prairies de haute valeur biologique. Par la formation d’un réseau écologique et grâce à un effet synergique, les MAEC, qui n’ont pas la conservation des pollinisateurs comme objectif principal, participent tout de même à leur protection.
Les mesures agro-environnementales visent l’abandon (ou du moins la diminution) des pesticides, le développement de zones fleuries peu ou pas fauchées, l’installation de haies, la protection des eaux, etc. À titre d’exemple, la mesure agro-environnementale et climatique 4 (MC4) vise à la conservation des prairies de haute valeur biologique. Par extension, cela profite aux pollinisateurs, notamment les papillons, que l’on trouve nombreux dans ce type de milieu. Lorsque la présence d’une espèce protégée est avérée, les conditions spécifiques du cahier des charges varient en fonction du biotope occupé et du statut de protection de la parcelle. En échange des efforts fournis et des coûts de mise en œuvre, les agriculteurs (1254 en 2018) sont indemnisés à hauteur de 450€ par hectare et par an. Une marge de progrès de plusieurs milliers d’hectares (minimum 7000) est prévue pour les années à venir.

Depuis quelques années, les mesures agroenvironnementales sont de plus en plus présentes en Europe. Grâce à elles, les zones agricoles diminuent leurs impacts sur la nature et peuvent même devenir des refuges de biodiversité. Dans un monde où l’expansion humaine est exponentielle, il est indispensable que de telles mesures voient le jour et demeurent dans nos paysages. Les MAEC ont déjà fait leurs preuves et il ne faut que deux ans pour qu’une amélioration soit visible au niveau des communautés de pollinisateurs. Face à l’urgence du risque de déstabilisation des écosystèmes, il est plus que temps de réagir. D’autant plus que l’on connaît déjà une des solutions.

Pigiste
Spécialités : Sciences, nature, art
Description : J’ai pendant un temps étudié à l’Université de l’Invisible d’Ankh Morpork. Fan des coquelicots, je passe mes weekends à courir après les papillons et à voler sur ma Longwing, Lily. J’ai, depuis peu, rejoint le château de Hurle où j’essaye de percer, avec l’aide de Nausicaa, les mystères de ce monde. Une question reste toutefois sans réponse : Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ?
Article bien rédigé. Il est vrai que ces mesures sont indispensables. Mais je pense que divers acteurs en ont bien pris conscience et agissent dans ce sens. Je prends l’exemple des distributeurs d’eau qui intègrent dorénavant dans leur process cette approche environnementale. Le Contrat de gestion avec la Région wallonne leur fixe le cadre général et des objectifs qu’ils se doivent de réaliser (indicateurs environnementaux…). Leur principal prêteur de fonds, la BEI, depuis peu Banque du Climat, oblige maintenant les bénéficiaires de ses interventions financières (prêts) à respecter toute une série de critères notamment le fait de prendre des actions concrètes pour la résilience face au changement climatique. Mais le problème est toujours le même càd lorsque la rentabilité d’une société privée est affectée par ces mesures…
La preuve une fois de plus que lorsque l’on enclenche un processus pour améliorer les choses, cela fonctionne. Cela donne un espoir pour le futur.