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Exploité intensivement depuis un siècle, le sable est partout dans nos vies mais il passe inaperçu. Seules les plages lui rendent hommage, mais pour combien de temps encore? Voici l’histoire d’un petit grain convoité et désormais menacé d’extinction. Et le défi qui l’entoure.

Dans l’imaginaire collectif, le sable est souvent associé à des souvenirs de vacances, les pieds dans l’eau. Il est pourtant bien plus présent que ce qu’on l’on pourrait imaginer. Majoritairement utilisé dans le secteur de la construction (où il est devenu indispensable depuis l’invention du béton), on le retrouve également dans de nombreux objets du quotidien. À tel point qu’il est devenu la ressource naturelle la plus exploitée au monde, juste après l’eau. Mais sa présence est limité et sa surexploitation actuelle devient source de nombreux problèmes économiques, sociaux et écologiques.

De la roche à la mer

Tout comme le pétrole, le sable est aussi l’objet d’intenses minages

Avec l’invention du béton, composé d’1/3 de ciment pour 2/3 de sable, l’exploitation de ce dernier a explosé lors du 20ème siècle. C’est une révolution dans le monde du bâtiment (par ses propriétés de résistance et de flexion et son bas coût de production), au point de composer la majorité des infrastructures depuis le siècle passé. Résultat : chaque année, ce sont entre 40 et 50 milliards de tonnes de sable qui sont extraites pour être exploitées dans l’industrie mondiale. À titre d’exemple, il faut 30.000 tonnes de sable pour construire un seul kilomètre d’autoroute.

Mais l’utilisation du sable, c’est bien plus que le secteur de la construction. Pour monter un microprocesseur d’ordinateur, il faut du titane, du thorium et de l’uranium notamment. Ces trois minerais sont tous extraits du sable. Pour fabriquer du verre, on en extrait de la silice que l’on fond à très haute température. Une silice que l’on retrouve également dans une multitude d’objets du quotidien tels que le dentifrice, le maquillage, le détergent, etc. Les polders, des territoires créés artificiellement pour « construire sur l’eau » (plus de 120km2 à Singapour par exemple), dépendent également du sable.

Mais si l’exploitation du sable ne cesse d’augmenter, sa présence est tout sauf illimité. En réalité, moins de 5% du sable terrestre est exploitable. Car tous les sables ne se valent pas. La ressource utilisée dans l’industrie provient de carrières, rivières et plages. Mais pas des déserts. La forme arrondie du sable désertique, lissée par le vent, l’empêche en effet de s’agréger correctement pour former une structure solide. Conséquence absurde : à Dubaï, 150 millions de tonnes de sable ont été importées d’Australie pour construire les îles artificielles Palm Spring, alors que le pays est un désert.

Guerre des bacs à sable

Pour répondre à une demande toujours croissante, les carrières ne cessent de s’agrandir

Ogre du secteur, la Chine consomme 60% de la production mondiale de sable : entre 2016 et 2017, l’Empire du Milieu en a consommé autant que les États-Unis sur l’ensemble du 20ème siècle. Pour limiter cette exploitation intensive, plusieurs pays interdisent ou régulent son extraction. Mais, comme dans tout secteur, et encore plus quand la demande ne cesse d’augmenter, un gigantesque marché illégal s’est mis en place.

Au Maroc, presque la moitié du sable extrait l’est de manière illégale sur des plages pillées intégralement. Ironie du sort, ce « vol » est la plupart du temps réutilisé dans des constructions érigées aux bords de ces mêmes plages. En Inde, une véritable mafia s’est constituée avec la corruption d’autorités locales et les journalistes qui dénoncent ces pratiques sont réduits au silence.

D’autres vont se servir plus loin, directement dans l’océan. D’énormes bateaux équipés d’un bras de succion sont ainsi envoyés pour pomper des quantités toujours plus importantes de sable de dunes sous-marines. Au rythme de 15.000 tonnes en trois jours et trois nuits. En Europe, les sociétés font pression pour utiliser cette méthode, provoquant la colère des pêcheurs locaux qui dépendent de cet écosystème. Le label Natura 2000 protège certaines zones marines de l’exploitation mais les abus sont fréquents.

Du sable contre les vagues

À la manière d’un mur naturel, le sable protège les littoraux et diminue les catastrophes naturelles

L’industrie du sable n’est évidemment pas sans impacts sur l’environnement. Le dragage des fonds marins perturbe l’écosystème marin et dégrade les milieux naturels et les espèces qui trouvent. L’exploitation des côtes perturbe le cycle naturel des plages, pourtant essentielles pour faire barrage aux tsunamis et éviter la contamination des nappes phréatiques par l’eau salée. Cette disparition favorise également l’érosion d’un littoral déjà menacé par le réchauffement climatique (principalement la montée des eaux). Et la production de béton (avec ce sable) contribue d’ailleurs encore plus à ce phénomène puisqu’elle est responsable de 9% de l’émission mondiale de gaz à effet de serre. Un cycle meurtrier.

Aujourd’hui, 9 plages sur 10 sont menacées de disparaître et 24 îles ont déjà disparu en Indonésie. Une « extinction » qui impacte également les populations qui en dépendent et doivent être évacuées. Un phénomène qui va d’ailleurs encore s’accélérer avec les années à venir. Et les prochaines victimes seront les pays situés au niveau de la mer, Belgique et Pays-Bas en tête. Le remblayage des plages tente de préserver la situation mais cette solution à court terme n’est pas viable : elle accentue le problème puisque pour amener le sable là bas, il faut bien le prélever autre part. Et même dans le cas du sable, les pays du Nord viennent piller ceux du Sud.

Selon plusieurs études récentes, si la courbe folle d’exploitation du sable ne s’inverse pas, ce sera un désastre planétaire. Les Maldives auront entièrement disparues avant la fin du siècle, tout comme la moitié des plages de la planète. Une « extinction » qui entraînera une augmentation drastique des catastrophes climatiques (tsunamis, ouragans, tremblements de terre) mais aussi une montée des eaux comprise entre 50 et 85cm. Un tel élèvement précipiterait l’engloutissement de nombreux pays, dont certains européens.

Pour tenter de limiter cette surexploitation, il est indispensable de sensibiliser autour du sujet et de renforcer la législation mondiale autour de cette matière si convoitée. Il faut également adapter notre modèle de construction : ne plus construire sur les littoraux déjà fragilisés et rénover les constructions déjà existantes plutôt que d’en construire des nouvelles. Autre solution, investir dans du sable « alternatif » (le broyage de bouteilles en verre permet d’obtenir un composant aux propriété équivalentes). Il est également possible de remplacer le sable par des matériaux plus durables (bois, paille, terre) mais il y a peu de chances que cela n’entre réellement en compte.

Comme les Maldives, les îles Marshall sont désormais directement menacées de disparition © Curt Storlazzi, USGS

Ressource méconnue, le sable est un minerai indispensable à l’homme du 21ème siècle. Mais son extraction intensive se fait au détriment de l’environnement et de ses espèces. Et il est plus que nécessaire d’encadrer cette (sur-)exploitation. Car si le sable est nécessaire à notre industrie, il est avant tout le gardien des littoraux qui protègent des aléas climatiques. Entretenir le sable qu’il reste sur Terre revient à protéger les populations : directement ou indirectement, c’est toute l’humanité qui en dépend.

2 Replies to “Le sable peut-il mener l’espèce humaine à sa perte?”

  1. Une première solution serait effectivement moins de construction en béton et rénovation de bâtiments existants. Mais il faut une vraie volonté notamment de nos instances. En effet, j’habite à la campagne et je vois de plus en plus de terres agricoles vendues pour construction de maisons toujours en béton et avec une isolation pas si épaisse que ça.

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